Un café ou un cappuccino ? Feat Shawn & Athena

Concentration. Pleine disposition, pleine attention, pleine résolution. Elle tapait avec la rapidité de l’habitude et la dextérité de l’habituée sur son clavier, ne pouvant laisser de répit à ses activités favorites. L’une d’entre elles actuellement étant l’écriture d’histoires courtes sur internet, faite à plusieurs mains et qui la réjouissait bien plus que la banale réalité. Banale vraiment ? Être une sorcière et étudier les Arts Occultes toutes les semaines en parallèle aux cours classiques du Secondaire n’avait rien de banal… Mais elle n’était plus surprise par ce quotidien, ayant grandi dans une famille sorcière.

Tap tap tap taptap tap.

Son histoire ne la satisfaisait pas. Elle aurait voulu plus d’action, plus de drama, plus de retournement de situation mais elle n’en était qu’aux prémices, il fallait qu’elle se rende à l’évidence. L’impatiente qu’elle était, sûre de son talent qui plus est, devait attendre que l’intrigue se développe pour se permettre un développement de personnage dont elle chérissait tant la mise en place. Elle pourrait toujours discuter sur le chat avec ses amis ivl pour patienter la prochaine réponse maintenant qu’elle avait appuyé sur “Envoyer”.

Tap taptaptap taptap.

Elle tenta une conversation avec un ami anglais qu’elle n’avait jamais vu mais dont elle était très proche depuis sa 8ème année soit depuis trois ans. Ils conversaient de tout ensemble et l’introvertie qu’elle était se découvrait sociable à ainsi échanger régulièrement avec d’autres. Même dans ses périodes les plus sombres, elle savait qu’elle trouverait écoute et joie loin de la vie irl. Mais il devait aller dîner et la laisser : la réalité les rattrapait toujours. C’est d’ailleurs en citant le repas qu’elle revint dans son environnement bien loin de ses écrits et autres mondes virtuels.

...

Elle ne venait pas toujours dans les cafés mais elle trouvait l’ambiance “bruyante mais diffuse” parfaite pour écrire, dans une sorte d’inspiration parmi les personnages que peuplaient la vie réelle. Il lui arrivait quotidiennement de regarder son entourage pendant de longs moments, trouvant des idées pour ses prochains personnages. Elle restait néanmoins dans sa rêverie, le regard brun porté vers l’extérieur visible à travers la vitrine près de laquelle elle s’était assise une heure plus tôt. Déjà. Elle n’avait toujours pas commandé et c’est sûrement la raison pour laquelle un serveur vint la voir. Un peu plus : si elle ne commandait pas, elle se ferait virer. Quoi que ce ne serait plus si grave vu qu’elle avait finit ce qu’elle était venu faire, mais voilà : son ventre lui rappela l’heure. Il n’y avait pas qu’Arthur qui devait manger. Un autre fuseau horaire appelait à se restaurer et c’était le sien.

▬ Je peux vous aider ? Avez-vous des doutes ou des hésitations vis-à-vis de votre commande ? Si c'est le cas, je vous écoute !

Quelle efficacité et précision dans la parole, ne put-elle s’empêcher de penser. Elle sourit en réponse au serveur qui avait un look assez singulier, notamment sa capuche aux oreilles de chien d’où dépassait quelques mèches blondes. Par rapport à ses collègues, il semblait plus jeune, peut-être un peu plus qu’elle et encore. C’était son regard bleu qui devait le rajeunir, par son côté naïf et vif. Elle secoua légèrement la tête pour quitter son côté observateur qui remarqua jusqu’à sa cicatrice sur le front et regarda, pensive, le menu sans vraiment le lire. Qu’allait-elle consommer du coup ? Elle présageait qu’elle ne déjeunerait pas vraiment ce midi, ayant cette mauvaise habitude de grignoter en sautant des repas… Elle se décida donc à répondre, avec ce ton sans chaleur et cette rectitude qui lui était propre :

▬ Bonjour. Merci. Je crois avoir choisi. Je prendrai un thé ceylan et quelques pâtisseries (elle indiqua du menton le bar où une cloche en verre couvrait quelques gâteaux) selon leur prix évidemment. Petit silence qu’elle brisa vite : Ceci étant dit, j’ai deux interrogations que je me permets de poser, bien que cela soit indiscret. Répondez ou non, selon ce qui vous arrange. Où avez-vous trouvé votre hoodie à capuche et n’êtes vous pas trop jeune pour travailler ?

Ces questions, sur les gens notamment, il nous arrive de se les poser. De là à demander directement à la personne, peu d’entre nous se le permettent. Mais Athena se le permettait tous les jours : elle avait été élevé dans une famille aisée et cultivée, la poussant à s’interroger sur son environnement et à toujours lui donner réponse et satisfaction. La jeune femme s'intéressait donc sincèrement à l’accoutrement de son interlocuteur, admirant toujours ce que l’on peut trouver sur Internet (si c’est bien là qu’il l’avait acheté). Aussi, n’ayant jamais travaillé en dehors des études, elle restait bien naïve sur la situation des jeunes travailleurs. Pour elle : on avait un job après son diplôme, même un petit pour payer des études supérieures… Mais pas avant. Ce qui expliquait sûrement sa surprise de voir un si jeune serveur. Si elle ne se trompait pas sur son âge déjà, bien sûr.

Rire. Léger. Presque un sourire dans un souffle amusé. Voir son interlocuteur subitement gêné, à tirer ainsi son tablier, la fit réagir. Mais il n’y avait rien de méchant dans son attitude, aucune moquerie ou tromperie. Elle n’avait pas posé sa question dans ce but, seule la curiosité l’animait. Elle obtint donc une réponse et fut surprise d’avoir tort : ainsi, c’était une boutique irl qui en vendait. Et il ne se limitait pas à un modèle. La mise en garde du prix fut balayée d’un revers de main car elle avait les sous, à n’en point douter, si le produit en valait le coup. Et les pâtisseries ? me direz-vous : eh bien, elle demandait les prix des gâteaux car elle tenait à économiser son argent de poche pour plus tard. Ainsi la conclusion était simple : l’avarice avait son efficacité pour garder sa monnaie pour les vraies choses. Manger correctement ? Non. S’habiller loufoquement ? Oui. Ou peut-être pas… Après tout, elle s’intéressait à la culture pop mais de là à varier ses habits en public, c’était rare. Mais… si le gilet aux oreilles de chat la captait, il pourrait très bien la satisfaire chez elle pour trainer. À voir donc…

Et voilà qu’il s’inclina.

Après tout, il avait un travail à faire et les commandes n’allaient pas venir toutes seules. Son regard revint à son écran où il s’agita, balayant les images qui défilaient sur les réseaux sans vraiment les voir. Ce monde de faux semblants la fascinait et elle ne pouvait malheureusement pas s’en lasser. Elle tapa par curiosité “Gilet oreilles de chien/chat” et sourit aux résultats. Un fin sourire à peine décelable mais tout de même. Il fallait bien se rendre compte d’une chose à propos de la jeune Bottero : elle faisait la dure mais elle trouvait des choses mignonnes parfois. Et les animaux notamment en faisaient partie.

Et voilà qu’il revint.

Elle lâcha un sincère mais bref “merci” quand il lui apporta boisson et collation : tout cela avait l’air bien bon et apparemment fait maison. Son regard incisif détailla le tout avant d’oser toucher à quoi que ce soit puis elle le remercia de nouveau après son “bon appetit”. Elle quitta du regard les victuailles quand il finit par répondre à sa deuxième et dernière question pour le fixer avec autant d’attention. Si elle avait pu être gênée, elle l’aurait été mais ce n’était pas le cas : la remise en question n’était pas dans les habitudes d’Athena. Et puis, après tout, il ne semblait pas embarrassé cette fois-ci, le clin d’oeil comme preuve. Malgré tout, dans son inconscient, un énième onglet s’ouvrit parmi tant d’autres de son cerveau-ordinateur : le fait de vivre seul à leur âge et de devoir travailler était une situation pertinente sur laquelle cogiter. Elle qui n’avait jamais fait d’effort de ce côté… tout en ayant les capacités et la débrouillardise pour. Comme quoi, elle était bien contente du compte en banque parental et bien incapable de le laisser, même quand ses parents l’agaçaient.

Et voilà qu’il repartit.

Une de ses collègues l’appelant et le ramenant au travail qu’elle avait osé interrompre par trop de curiosité. Elle acquiesça sa proposition et le laissa repartir. Elle enfila son casque audio sans fil et commença à grignoter un gâteau tout en regardant une série sur un site de streaming, elle appréciait l’épisode avec l’ange et le démon, tout en comparant mentalement les scènes à celles du livre. C’est alors qu’elle voulut servir sa tasse mais soit la théière était trop petite pour ses mains soit elle était trop brûlante (à dire vrai, les deux, mon capitaine), quoi qu’il en soit elle lui échappa des mains. Le thé trop chaud se renversa sur elle et le sol, dans un bruit que même son casque ne suffit pas à couvrir car la théière se brisa avec grands fracas. Elle fit glisser le casque dans son cou, grimaçant de douleur car ça avait beau n’être que de l’eau (elle ne craignait pas pour ses vêtements) c’était bouillant (elle craignait pour sa peau sous le jeans et pour son bras droit).

▬ Je suis vraiment désolée., lâcha-t-elle en direction du bar aux employés… et aussi un peu à la cantonade - bien qu’à un volume raisonnable - pour les clients autour d’elle qui étaient sortis de leur discussion à cause de la catastrophe. Je veux bien vous payer les réparations mais… Auriez-vous des serviettes et quelque chose de froid ? Je crois m’être brûlée légèrement…

Elle pestait plus ou moins intérieurement, se sentant bête. Elle tapa sur la barre d’espace de son clavier pour stopper sa vidéo et ce, avec quelque véhémence. Elle allait devoir ajouter du travail au pauvre serveur qui s’occupait d’elle… Le pire étant qu’Athena détestait se faire remarquer (bien que cela soit un échec quotidien) et elle pressentait qu’elle ne reviendrait pas ici, trop honteuse de sa maladresse. Elle s’adressa plus bas au jeune serveur blond :

▬ Désolée encore… Vous avez bientôt fini votre service ? Ou avez-vous une petite pause au moins ? Je peux vous payer un café pour me faire pardonner hum. Elle voulait vite oublier cette affaire… Mais paradoxalement, sans savoir trop pourquoi, elle était intriguée par le jeune homme… Pourquoi ne pas discuter pour trouver d’où venait cette impression d’attraction ?

Aïe ? Elle faisait comme si c’était juste un incident oubliable, mais il se passait actuellement deux choses dans le corps d’Athena. De une, elle ne s’était pas loupée et la brûlure l’avait atteinte à travers ses vêtements. De deux, elle était une poupée vaudou ne contrôlant absolument pas son don. Absolument. Pas. Depuis qu’elle était gamine et qu’elle avait déclenché son talent, elle ne connaissait plus la douleur même si elle entretenait avec sa personne une relation masochiste assez élevée. Se faisant souffrir sans souffrir une seule seconde… Oups. Vous avez dit...

Douleur ?

Elle ne connaissait plus ce mot, cette sensation, cette peur. Car elle refusait de la garder pour elle, sa magie la protégeant avant même qu’elle ne le figure dans son cerveau. C’était instinctif et non maîtrisé, c’était intuitif et impossible à arrêter. Alors que la d o u l e u r allait la foudroyer, elle leva les yeux vers le serveur tout en s’excusant. Sincères excuses mais bien minimes par rapport à ce qu’il se passait en réalité. La magie fit son effet : bien qu’elle apparaissait rouge, son épiderme n’était point douloureuse. Elle se mordit la lèvre quand le jeune serveur apporta un gant de toilette avec glaçons. Il voulut l’apposer sur elle, inutilement. Étrangement. Elle se figea sur place.

Contact ?

Elle lui prit des mains le gant et se détourna, les lèvres crispées, ne voulant plus être touchée. Et pensant en boucle à ce qu’elle venait de faire. De faire. De faire ? Elle ne contrôlait rien après tout. Ce n’était pas de sa faute. Voilà. Elle était innocente dans cette histoire. Innocente. Si le jeune homme souffrait ce n’était pas sa faute… à elle mais à lui. Il s’excusait bien non ? Il était responsable pour le thé, les brûlures n’étaient qu’un effet collatéral mérité. Mérité ? Vraiment Leslie ? Tu arrives à te mentir aussi aisément ? On sait toutes les deux que tu te mens mieux que personne, que tu fuis la réalité pour mieux y survivre… mais là, ça ne marche pas. Excuse-toi, accuse-toi, fais quelque chose.

Agir ?

Tu bredouilles une demande pour lui payer un café lors d’une pause. C’est ridicule. Après ce que tu as fait, c’est même insultant. Dégradant. Inhumain. Sorcière. Ne vois-tu pas que tu ferais mieux d’agir vraiment au lieu de tout voiler par la parole et la fausse sincérité. Tu t’excuses dans le vent. Et que peux-tu faire d’autres, tu me diras. Ce n’est pas comme si le Coven permettait que tu dévoiles tes pouvoirs ainsi. Déjà ton talent, mais même si tu entamais l’incantation du Sortilège du Bandage, tu n’es même pas certaine que ça serait efficace sur une brûlure… si tu ne te fais pas tout simplement prendre pour une folle par le serveur… si ce n’est pas déjà trop tard. Tu le fixes du coin de l’oeil, hésitante.

▬ Merci… pour les glaçons et… le thé… Ce n’était pas la peine sinon… J’attendrai cette fois-ci. Merci encore… Elle le regarde, ses yeux bruns évitant la fuite… tentant du moins. Vous… vous allez bien ? Elle tend une main hésitante vers lui, voulant lui rendre le gant et qu’il se soigne en priorité. Je suis désolée. Elle le dit et pense sincèrement. Elle le dit et le pense mais elle sait au fond qu’elle s’est limitée avant de faire l’irréparable. Car oui, elle avait tout de même imaginé lui renverser “par erreur” le reste de thé pour justifier rationnellement la douleur… Mais elle s’était ravisée dans son sadisme, ne voulant pas faire une douleur encore plus intense mais angoissant tout de même de voir le jeune homme perplexe au vu de la situation. Elle ne pouvait qu’attendre et espérer.