Promènes-toi dans les bois mais pas ce soir et sans moi ! || Feat Balthazar

Enfin. Enfin après une attente interminable de trois semaines, elle pouvait savourer son dimanche de repos. Cet événement n'arrivait qu'une fois par mois, lui épargnant une soirée éprouvante et exténuante car c'est bien le week-end que la boîte où elle travaillait était noire de monde ? Et noire d'ennui. Il n'y a pas un jour qu'elle dansait sans être embêtée par des clients, qu'ils aillent voir ailleurs, elle n'était pas une pute. Franchement, à quoi ils pensaient.

Ruminant son mécontentement devant un film à l'eau de rose, romantique et doux à souhait, elle tend sa main pour attraper une chips, la glissant entre ses lèvres alors qu'elle renifle, les larmes aux yeux. Pourquoi ce genre de choses ne lui arrive jamais ? C'est trop demandé d'avoir un prince charmant sur son cheval -ou sa moto, la moto c'est quand même plus classe qu'un destrier, on a changé d'époque un peu de modernité- qui l'aborde avec un sourire charmeur ? A la place, elle a le droit à l'arôme délicatement exécrable de l'alcool et aux gestes déplacés. Beurk, une haleine dont elle se passerait bien, certains jours. Il est minuit, Hiyori n'est pas fatiguée, elle est habituée aux horaires nocturnes et compte bien profiter de cette nuit pour se mater une dizaine de films et de pleurer jusqu'à ne plus avoir un mouchoir. Sauf que son magnifique programme vient de tomber à l'eau.

Son téléphone sonne, son privé. Elle bougonne, attrape la télécommande pour mettre son film sur pause. Puis, elle soulève le chaton sur ses jambes, ce dernier complètement endormi se laisse faire, ouvre la gueule pour bailler et se retrouve sur le canapé. Hiyori tend le bras, attrape finalement son portable pour décrocher, la mine grognonne.

« Allô c'est Hiyori. […] Pourquoi est-ce que vous m'appelez à cette heure, un dimanche en plus ! […] Votre fils ?... […] … D'accord d'accord...  »

La jeune femme raccroche et reste immobile. Est-ce que c'est une blague ?! Quel être humain censé d'un minimum de raison appelle à cette heure-ci pour demander un service pareil ??? Elle laisse glisser sa main sur son visage. Quel enfant doté d'un minimum de respect pour les pauvres gens comme elle sort en plein milieu de la nuit sans donner de nouvelles ??? Voilà pourquoi elle déteste les enfants. Ils sont irresponsables, intenables, négligeables, fourbes et... Elle ne cesse de râler, ses yeux fixent l'écran de sa télévision... Pourquoi ce genre de choses tombe toujours sur elle ? Après un soupir, elle se lève, se dirige vers sa chambre. La bonne humeur au visage, elle se dirige vers son armoire pour abandonner sa robe de chambre et s'habiller d'une combinaison en cuir noir. Elle arrange ses cheveux, quitte la pièce pour enfiler des chaussures, glisse son téléphone dans sa poche, dans l'autre elle a les clés de son véhicule. Et son casque à la main. Un dernier regard vers son coin de paradis et elle ferme la porte à clé pour descendre les escaliers.

Elle arpente les rues de la ville, fait rugir le moteur de sa moto (sans dépasser la vitesse autorisée ? non, elle s'en fiche bien). Elle roule, elle s'arrête parfois pour demander à des connaissances s'ils n'auraient pas vu un gamin -et bizarrement tous lui disent que le gamin est plus grand qu'elle avant de se prendre un coup bien placé- mais elle n'a pas de piste. Avant de se rendre sur le lieu de son travail. Comme le monde est petit, elle n'a que des témoignages divers qui semblent complètement faux. Le seul qui attire son attention c'est celui d'un barman ; un garçon serait parti dans la forêt il y a peu... C'est censé être interdit non ? Elle attrape son téléphone et tapote dessus un message plein d'amour à ce fugitif qu'elle recherche.

Je vais te tuer, rends-moi ma nuit avec Jack et Rose.

La délicatesse et la tendresse, ce n'est pas pour elle. Surtout dans des conditions pareilles. Armée de son téléphone et de la lampe torche, elle se rend dans la forêt. Sans aucune peur, bien trop agacée par la situation. Elle marche, éclaire la route, tourne parfois en rond et trébuche sur des racines. A cet instant, elle déteste sa vie. Avant que par miracle, elle ne voit une silhouette sombre au loin. Une veine pulse sur sa tempe, elle meurt d'envie de le frapper et de le tirer par la peau des fesses jusqu'à chez lui mais, elle est une adulte responsable et parfaitement sereine. Alors elle se contente de courir dans sa direction et de l'éblouir avec sa lampe.

« Je t'ai trouvé ! Maintenant tu vas sagement me suivre jusque chez toi pour que je puisse enfin voir la fin de mon film et en démarrer un autre et je n'accepte aucun refus. »

Hiyori dans toute sa splendeur. Gentille, agréable et délicate.
 

Vous connaissez la tragique histoire du Titanic ? L'interprétation du séduisant Jack Dawson par Leonardo DiCaprio qui envoûte n'importe quelle jeune demoiselle ? La beauté délicate de Rose DeWitt Bukater qu'incarne parfaitement l'actrice ? Cette femme qui pour éviter la ruine de la famille doit se marier à un poltron. Le Titanic est un film magnifique et émouvant, un coup de foudre attendrissant. Et là, Hiyori se moque bien du garçon en face d'elle, tout ce qu'elle veut c'est terminer sa séance de cinéma. La seule pensée qu'elle ne pourra pas tenir son programme car elle a passé beaucoup trop de temps à chercher ne l'effleure pas. Sinon, elle exploserait déjà. Elle croise ses bras contre sa poitrine, hausse un sourcil, pas un sourire aux lèvres.

« A toi de me le dire. Qu'est-ce que tu fais ici, en plein milieu de la nuit, dans un lieu considéré comme dangereux ? »

Il s'improvise scout d'une nuit ? Pas moyen, si c'était le cas il aurait au moins apporté une tente et le nécessaire pour ne pas se faire bouffer par la première bestiole qui passerait. Ce nécessaire est peut-être dans son sac. Même s'il n'a pas l'air de pouvoir contenir grand chose. Son index tapote son avant-bras, bien qu'elle lui ait gentiment demandé de rentrer, il n'a pas encore bougé. Cela ne lui plaît pas. Elle se doute qu'il n'a pas envie de se faire disputer par son père mais, cela ne la concerne pas. Il n'avait qu'à pas se faire prendre, à son âge, elle y arrivait neuf fois sur dix. Il suffisait d'utiliser sa tête... Et visiblement, Balthazar n'a pas cette qualité car son excuse sent le mensonge à plein nez. Pas besoin d'être un détective pour le savoir.

« Tu penses que j'ai l'air d'aimer me promener à 1 heure du matin ? C'est ton père qui m'a demandée de l'aide. »

Hiyori pousse un long soupir. Son humeur ne peut pas être pire, agacée et pressée de rentrer, elle aimerait qu'il la suive gentiment. Parce qu'il n'y a rien à faire ici. Écouter les corbeaux croasser ? Entendre le chant des loups et hiboux ? Peut-être que les aventuriers s'amuseraient à chercher des empreintes dans le noir mais pas elle. Tout ce qu'elle veut, c'est le chemin le plus court pour sortir d'ici et retourner à ses occupations. Simple. Concis. Clair. Elle lève son bras, pointe le paysage en lui jetant un regard intransigeant. Pas de négociation possible.

« On rentre. »

 

Les secondes s'écoulent au rythme de son pied qui tape le sol, sous l'impatience. Plus il la fait attendre, moins son humeur sera bonne. Il n'a pas l'air de s'en rendre compte puisqu'il persiste à rester planté devant elle sans faire un geste indiquant qu'il va la suivre. Au moins, il n'a pas l'air de vouloir s'enfuir dans les bois, c'est déjà une bonne chose car elle n'a aucune envie de courir dans des sentiers sinueux. Ses bottines ne sont pas adaptées et elle espère ne pas les avoir couvertes de boue. A cette période de l'année, cela ne devrait pas être le cas. Et...

Soudain, le garçon ouvre la bouche et l'interrompt dans ses pensées. Ce qu'il vient de dire la surprend tellement qu'elle est obligée de lever ses yeux vers lui pour être sûre qu'il l'a bien prononcée. Cette phrase. Une veine pulse contre sa tempe, elle lui jette un regard terriblement noir. Des rides ? Il la prend pour une vieille ? Il pense qu'elle fait exprès d'avoir toujours cette expression scotchée au visage ? Il pense qu'elle aime avoir toujours l'air mécontent ? C'est habituel chez elle ! Elle n'y peut rien ! Le respect est mort cette nuit. Ce gamin va finir enterré sous les arbres. Ou à défaut, à l'hôpital. Il l'aura bien cherché.

« Oses encore une fois me traiter comme ça et je te prive de ton droit à la reproduction. »

Ou plus simplement, elle va le castrer. Les bras croisés, l'aura meurtrière, elle ne peut s'empêcher de relever un sourcil en l'écoutant. Tout ce qu'il dit n'a aucun sens mais cette fois, cela dépasse l'entendement. Les jeunes sont aussi pressés qu'ils ne cachent même plus leur désir ? Les hormones travaillent à leur âge mais tout de même, dans des bois. Et il a le culot de lui demander si elle veut participer. Il l'a pris pour qui ? Pour quoi ? Elle a bien trop de fierté pour s'abaisser à ce genre de pratiques en plein air. Elle s'approche, attrape sa manche pour le tirer derrière elle.

« Si tu veux te soulager, tu feras comme tous les gars de ton âge, dans ta chambre. Pas besoin de venir ici pour passer à l'acte à moins que tu sois aussi désespéré. De toute façon ça ne me regarde absolument pas alors inutile de m'inclure dans tes plans. »

Complètement à côté de la plaque sans le savoir, elle ne le lâche pas et ne le regarde même pas. Elle a peur de ce qu'il pourrait sortir comme bêtise alors qu'il a déjà touché le fond.
 

Bon dieu. Qu'est-ce qui se passe cette nuit ? Recevoir des avances de la part de l'élève qu'elle aide, en plein milieu de la forêt, à une heure aussi tardive, elle croit rêver. C'est un cauchemar. Comment va-t-elle expliquer à son père ce qui lui est passé par la tête ? La situation est bien trop gênante, et s'il ne tolère plus sa présence, elle va perdre un job. Et si cette histoire se répand ? Les autres parents ne vont pas croire qu'elle a un comportement déplacé ? Alors la solution est sans appel. Elle ne peut rien dire.

Hiyori ne l'écoute déjà plus, elle se contente de marcher en tirant sa manche sans un regard. Il s'agite, elle soupire et consent à tourner sa tête pour écouter de nouvelles excuses. Mensonges sur mensonges, celui-ci reste le plus convaincant et elle hésite. Le croire ? Elle préfère cette version à la précédente mais est-il vraiment aussi faible pour se laisser faire ainsi ? A sa place, elle frapperait ceux qui l'embêtaient et leur ferait manger le bitume. Au risque d'être renvoyée. Après tout, elle n'avait jamais été une bonne élève. Au désarroi de sa mère.

« Tu aurais pu venir ici bien plus tôt. Assez pour ne pas inquiéter ton père. »

Elle soupire, s'immobilise. Elle s'en fiche de ses malheurs, cela ne la regarde pas, elle veut juste retrouver sa tranquillité devant sa télévision. Mais visiblement, c'est trop demandé. Et malheureusement, elle ne peut jamais abandonner ceux qui semblent avoir des ennuis, un bon côté dans son caractère de cochon. Il en vaut bien quelques-unes, des qualités.  

« Si tu ne veux pas que quelqu'un t'embête, tu devrais le mettre au tapis. Sinon rien ne changera. »

Elle pose ses mains sur ses hanches. C'est tellement facile à dire, sûrement moins simple à appliquer. Il n'a pas le même caractère qu'elle, il n'a pas la même facilité à s'affirmer, à frapper et agir. Et ce n'est pas plus mal, elle n'est pas un exemple à suivre. Elle se décide à lâcher son poignet pour se diriger vers l'endroit d'où elle s'était éloignée. Tournant la tête, elle fixe le paysage nocturne, impossible de dénicher un drapeau. Surtout avec une zone de recherches aussi vaste.

« Alors où est ton drapeau ? Je ne peux pas te laisser seul ici. »

Elle va l'aider. Parce qu'elle n'a pas le choix, c'est la meilleure chose à faire pour rentrer rapidement.